Article initialement paru en septembre 2016 dans Education Permanente, revue de la FSEA.
Le développement de la formation digitale a vu apparaître de nouveaux termes pour désigner le métier consistant à créer des modules d’apprentissage en ligne, tels que « conceptrice pédagogique », « ingénieur pédagogique multimédia » ou encore « technopédagogue ». Il n’est cependant pas facile de comprendre les compétences et les rôles qui se cachent derrière ces termes : concepteur multimédia ? Informaticienne ? Coordinateur de projet ? Formatrice ? Cet article se propose de parcourir les différentes compétences nécessaires à la réalisation d’une formation digitale réussie, de dessiner ainsi le contour du ou des métier(s) nécessaire(s) pour mener à bien un tel projet et de dégager le rôle que peuvent y trouver les formateurs et formatrices.
Quelles compétences pour réussir un projet de formation digitale ?
En 1986, avant l’ère du digital, le psychologue Lee Shulman définit les compétences requises pour un-e enseignant-e en proposant le modèle PCK pour « Pedagogical Content Knowledge », soit la capacité à allier pédagogie et contenu. Un-e bon-ne enseignant-e doit donc être à la fois expert-e de la matière enseignée et des moyens de la transmettre. Deux décennies plus tard, les professeurs Mishra et Koehler actualisent ce modèle et en font un cadre conceptuel sous l’appellation TPACK, pour « Technological Pedagogical Content Knowledge ». Les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) ont pleinement fait leur entrée dans le champ de compétence des enseignant-e-s. Par contre, cela ne signifie pas du tout que les formateurs/trices, pédagogues et expert-e-s de leur matière, doivent en plus ajouter une nouvelle compétence à leur profil, mais plutôt assumer un rôle de coordinateur entre ces différents aspects de la formation en ligne.
L’expertise de la matière enseignée
Car dans le contexte de la formation pour adultes, même lorsqu’il s’agit de formation en salle, les formateurs et formatrices sont de plus en plus perçu-e-s avant tout comme des guides au sein de la matière et des facilitateurs et facilitatrices permettant aux participant-e-s de faire « émerger » les connaissances et compétences. Les formateurs/trices doivent bien évidemment posséder une bonne connaissance de ce qu’ils et elles enseignent, mais on convient que les expert-e-s ne sont pas toujours les plus à même de transmettre connaissance et compétences.
Dans le cadre de la formation digitale, l’expertise de la matière enseignée est devenue encore plus annexe. On cherche avant tout de l’expertise en matière de conception pédagogique et de compréhension des enjeux de la formation à distance, et le contenu de la formation est alors conçu grâce à une collaboration étroite entre les technopédagogues et des expert-e-s, parfois appelé-e-s « expert-e-s métier ». Les pédagogues doivent alors être capables de trois choses : capturer l’essence de l’expertise et de la connaissance à transmettre grâce à leur collaboration avec les expert-e-s métier ; transposer le contenu en le reformulant, en l’illustrant et en l’appuyant d’activités interactives pertinentes ; faire le lien entre l’expertise recueillie et les objectifs de la formation, ainsi qu’avec les besoins des apprenant-e-s. On retrouve alors au coeur du métier de technopédagogue ce rôle de facilitateur, de pont entre la connaissance et les apprenant-e-s. C’est un bénéfice très intéressant de la formation digitale : elle permet d’aller chercher l’expertise là où elle se trouve et de la transmettre avec toute l’attention pédagogique nécessaire pour la rendre accessible.
L’expertise technique
Qui dit formation en ligne dit support technique. C’est souvent là que se voit refroidie la motivation des formateurs et formatrices souhaitant se lancer dans les TICE : « Mais je ne suis pas informaticien ! ». En effet, un projet de formation digitale revêt indéniablement une composante technique, et il est difficile de l’approcher sans développer un minimum de technophilie. Cependant, l’expertise technique attendue des technopédagogues ne touche pas la réalisation technique mais principalement la connaissance des outils. En tant que conceptrices et concepteurs de la formation, les technopédagogues garantissent le choix pertinent des traitements, des outils interactifs et des médias.
Pour ce qui est de la réalisation technique, tout comme pour l’expertise matière, elle peut passer par la coordination avec des développeurs, ainsi qu’avec tous les autres métiers utiles à ce but : graphistes, concepteurs/trices multimédias, etc. Dans un projet qui peut devenir très technique, les technopédagogues ont cependant un rôle essentiel : s’assurer que le projet de formation ne se transforme pas en un projet de développement. Ils doivent ainsi veiller à ce que la cohérence et la pertinence soit toujours au cœur des choix techniques et ne soit pas perdue au fil des étapes de développement.
Il est intéressant également de noter que ces dernières années ont vu l’apparition d’outils de création de modules de formation de plus en plus évolués et accessibles sans connaissances informatiques étendues. Ces outils, appelés « outils auteurs », ont ainsi pour but de réduire la nécessité de s’entourer de technicien-ne-s. Les formateurs/trices peuvent alors réaliser eux- et elles-mêmes la plus grande part, voire la totalité de la production, qu’elle soit technique, visuelle ou sonore.
L’expertise pédagogique
Voilà le cœur du métier de technopédagogue qui est avant tout un métier de la formation, déjà perçu en filigrane de ce qui précède. Les concepteurs/trices pédagogiques ont pour mission première de s’assurer que le projet permet la transformation d’une matière brute et d’outils techniques en un parcours d’apprentissage pertinent, accessible et motivant ; c’est-à-dire d’assurer la scénarisation pédagogique de la formation digitale, ce qui consiste, au-delà de la sélection pertinente et de la formulation adaptée de la matière, impérativement à la rendre stimulante, par l’interactivité, et motivante. La conception pédagogique nécessite ainsi de bonnes connaissances en psychologie de la motivation et une prise en compte de la gestion du temps et de l’effort cognitif.
Le découpage du contenu, le bon moment pour le feedback, la bonne façon de s’adresser à des apprenant-e-s mémorisant de manières différentes, l’influence du contexte de la formation sur la construction du module, la gestion de l’effort cognitif, des phases de pause ou des moments de résumé : en fait, autant de questions que les formatrices et formateurs sont habitué-e-s à se poser. Car c’est là une des clés principales du succès des formateurs/trices dans le cadre d’un projet de formation digitale : ne pas oublier d’appliquer toute leur expertise pédagogique au nouveau contexte des TICE. La formation en ligne ne permet pas l’improvisation : l’expertise pédagogique est donc indispensable pour permettre d’anticiper les points de blocages pour les apprenant-e-s.
En résumé
Réaliser une formation en ligne requiert des compétences variées, et ce serait se montrer trop ambitieux d’attendre d’une seule personne qu’elle maîtrise simultanément tous ces métiers. Un coordinateur ou une coordinatrice est donc essentiel-le pour que le projet de formation puisse être mené à bien, et cette personne doit être un formateur resp. une formatrice. En effet, un projet de formation digitale est avant tout un projet de formation ! Les technopédagogues ont ainsi la responsabilité d’éviter un piège fréquent dans la réalisation d’une formation en ligne : penser le projet comme un projet technique et oublier sa finalité, à savoir le développement de compétences chez un public d’apprenant-e-s. Les choix d’outils ou de traitement multimédias doivent être faits sur le critère de la pertinence pédagogique et l’expérience d’apprentissage doit être au cœur des préoccupations.
Au final, quelle place pour les formatrices et formateurs d’aujourd’hui dans le nouveau métier de technopédagogue ? Avant tout rester ce qu’ils et elles sont : des expert-e-s en pédagogie toujours à l’affût de nouveaux outils et de nouvelles approches pour mieux transmettre de l’expertise. C’est grâce à l’intérêt et la montée en compétences des formateurs/trices que le métier d’ingénieur-e pédagogique pourra se développer en conservant l’essence du métier de formateur/trice. Enseignant-e-s, formateurs, formatrices, à vous de jouer !
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